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LA peinture
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suite angle mort

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Suite de « l’angle mort », avec Goya.

 

Goya, que je découvre sur le tard. Trop de reproductions dans la tête, il faut que je me retrouve face au travail de sa main, ses yeux, sa tête, le cheminement de ses rêves et cauchemars, pensées et idées, entières ou incomplètes, dans le gras de sa peinture, les lignes creusées de ses gravures, le noir de son abyme. Et sans doute que les conditions de ce cheminement vers ce travail, cet homme et son humanité, participent de mon encrage, ancrage, dans mon attachement actuel. Attachement costaud.

 

 

 

 

 

 

 

 

Les conditions : Je finis un CDD et chômage à nouveau, une femme m’a quitté et retour au célibat. Je me saoule de cinéma tout ce jour avant le coucher. 3 films dont un Don Quichotte, très sombre "Honor de cavalleria". Un train de nuit, départ gare d’Austerlitz, qui traine sur la frontière entre son Espagne et ma France, bloqué un temps « certain » par une tempête de neige. Nuit blanche en compagnie de 3 inconnus qui ne parlent pas un mot de français, venu d’Ecosse, Espagne, Hollande. Échanges étranges entres bouts de phrases et silences plus ou moins explicites, gestuelles et acrobaties d’expressions spontanées. Tout ça frôle souvent l’absurde, le non-sens sauce british. Des éclats de rires ponctuent des croisements où chacun se pige, d’autres où personne ne capte rien. Avec la fatigue, le temps, le bruit d‘un train pas né de la dernière ligne de production, je crois me souvenir qu’après un dernier pic jubilatoire, nous tombons tous les 4 dans un silence total au lever du soleil. Une arrivée à Madrid vers la fin de matinée (quand prévue en début). Et puis, pour moi, c’est la course, très longue ligne droite de la gare jusqu’au Prado. Mon train repart dans la soirée, mon temps est compté. Francisco José de Goya y Lucientes (1746 Fuendetodos-1828 Bordeaux), « m’attend » au dernier étage (à l’époque situé là, avant rénovation du Prado).

 

 

 

 

En bas, déçu par Velasquez dont je me faisais une sorte de « montagne ». Par sa touche que je trouve convenue, distraite, je redescends en plaine. Plus loin, je me fixe devant les monstres de Jheronimus Bosch (vers 1450 – 1516) qui grouillent sur la toile et puis, je monte. Il y a les Goya de jeunesse, la lumière, l’envie et l’ambition. Le précipitation et l’orgueil, le séducteur. J’aime. Sans débordement. J’aime surtout parce que : notre jeunesse, ce temps du possible et de l’impatience, l’ambition floue et féroce, des passions et des excès d’un être convaincu de son immortalité. J’aime revoir ces envies lumineuses, qui, déjà chez moi changent (j’ai la trentaine bien entamée … et quelques accidents de parcours).

 

 

 

 

 

 

 

 

Goya sourd (par la faute d’une fièvre, un « coup de feu, de chaud, de flamme »), vieilli, abandonné par ses proches, par ses idées trop belles pour être vraies, horrifié par le Napo Corse. Goya assommé, fuit, s’isole, peint et grave. Je le vois au Prado comme je vais le revoir au Louvres, autrement.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Une expo temporaire de ses gravures, eau-forte et aquatinte (ses « Caprichos » les Désastres de la guerre, la « Tauromaquia » et les Disparates). Vertigineuse pratique de l’outil au service d’un songe, d’une idée, d’un être totalement libre de son expression. Imaginaire débridé (d’ordinaire bridé par la société et sa morale, une famille, une ambition, l’orgueil. Le kit usage d’une vie normée). Tout ça se fixe dans ma tête, mes rêves et cauchemars, mes pensées et idées, entière et incomplètes. Au Louvres, je passe et repasse devant le trait noir et les silences blancs. Plusieurs jours, j’arpente l’expo, temporaire.

 

 

 

 

 

 

 

Pour me faire mémoire (= tiroir dans lequel je retrouve une partie de ce périple à émotions), je me fixe devant 2 repros, faute de mieux, de Goya. 

 

 

 

 

 

 

Son Chronos (Saturne), le temps, qui dévore un de ses fils (on suppose qu’initialement l’affamé bandait. Mais trop c’est trop, décida la société des vivants). Peint directement sur le mur de sa maison, la quinta del Sordo (transféré sur une toile après sa mort). Dans sa salle à manger, forcément …

 

 

 

 

 

 

Et le chien : animal tout en bas d’une toile modeste, simplissime dans sa composition, sa palette, qui regarde le ciel.

 

suite angle mort

 

 

 

Je ne veux pas ajouter beaucoup plus et associer trop de mots à ces 2 visions, matériellement brutes. A minima : Dire le temps qui dévore, fou, moins sanguinaire qu’affamé, dire notre finitude et la solitude absolue de l’être dans le cadre clos d’une existence. L’humanité aura « beau » compter le temps, vouloir l’enfermer et le dompter, elle aura « beau » se protéger avec des communautés, des religions et croyances, au sein de tribus et réseaux, de sectes et d’une famille, d’idée complotistes et derrière des murs et des frontières, tenter désespérément de s’attacher corps et têtes à la vie, ses enfants et petits-enfants, un animal de compagnie, une collection de timbres ou d’œuvres sans prix, rien n’y fera. Le temps passera et seul, « je » vais disparaitre. Et même pas croire en ce « rien » qui dit déjà un manque, qui dit en creux … Voilà (toujours à mon idée), un « angle mort » par où passer, pour un poil, de chien, plus lucide, conscient, essayer de trouver autre chose … quitte à ne pas trouver. Retomber, seul, dans ce silence blanc, d’un lever de soleil du train qui aura pris son temps pour me faire passer cette frontière, d’un artiste l’autre … vers quoi ?

 

 

 

 

 

 

Effort de bouger le corps et les méninges ? Il n’y a peut-être pas que le « Compostelle » ici-bas et dans une vie. Me suis dit, après coup …

 

 

 

 

 

 

 

 

Saturne et le Chien de Francesco Goya, le sourd faute à la fièvre, disent par-delà les mots quand ils ne disent plus assez, ou mal. Quand les mots ne se comprennent plus faute de lecteurs attentifs, assez curieux ? Ou, qui ne lisent pas ? Dans la matière à laquelle il faut faire face (pas la repro), il y a l’être, sa main, ses yeux etc … des traces. Juste attendre, attendre que le temps vous apprivoise et non l’inverse, que la vie vous accompagne, que Francesco - une empreinte dans la matière-temps, gravure d’eau-forte - vous tienne la main.

 

 

 

 

 

 

 

Pour ma part,

Francesco, Rembrandt, Tiziano, Jean Siméon, Vincent, Claude et d’autres, m’aident à déraisonner, autant que faire se peut et se pourra encore, j’espère, à déraisonner ma vie. L’art, quand compris comme « angle mort », créer, c’est essayer au-delà de la facilité et de ses évidences. C’est déraisonnable à vie.